La Grande Bretagne a adopté, suite à l’attaque terroriste portée aux Etats Unis le 11 septembre 2001, une législation anti-terroriste conformément aux exigences des Nations Unies. Il s’agit d’une pratique qui a été suivie par les autres Etats afin de prévenir le danger terroriste. Tous ces Etats ont dû restreindre une part des libertés individuelles mais la législation anglaise a été la seule à violer les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH) dans une mesure qui a rendu nécessaire l’exercice d’une dérogation à la Convention. De plus, il s’agit d’un exemple représentatif du niveau de la protection constitutionnelle octroyée aux droits fondamentaux suite à l’adoption de Human Rights Act en 1998.
Le danger terroriste en Grande Bretagne remonte aux années 1970 et aux attaques terroristes en Irlande du Nord qui ont rendu nécessaire l’adoption de mesures anti terroristes exceptionnelles. Le Terrorism act adopté en 2000 constitue un effort d’harmoniser cette législation irlandaise avec celle existante au Royaume Uni. Mais c’est surtout après 2001, suite à l’attaque terroriste du 11 septembre, qu’on a pu constater une forte production des lois anti terroristes. En fait, ses liens diplomatiques et politiques avec les Etats Unis ont fait de la Grande Bretagne une cible du terrorisme international. Cette convergence politique entre les deux pays a été le principal argument du gouvernement anglais afin d’adopter la loi anti-terroriste Crime and Security Act en 2001. Le premier ministre anglais a défendu la nécessité de mesures strictes en vue d’assurer la protection de la sécurité de l’Etat. Les divergences de la partie 4 de la loi avec les principes contenus aux articles 5 et 14 de la CEDH ont rendu inévitable l’exercice d’une dérogation à la Convention en vertu de son article 15. Il s’agit d’une pratique rare qui n’a jamais été suivie par les autres Etats concernant les législations anti-terroristes. Plus précisément, c’était au ministre de l’intérieur compétent de prendre la décision visant à permettre la détention provisoire illimitée des étrangers suspectés de terrorisme. Cette position a été fortement critiquée par la Chambre des Lords dans son arrêt A and Others v Secretary of State for the Home Department dans lequel les juges britanniques ont contesté l’existence du danger public, lequel est une condition nécessaire pour la mise en œuvre de l’article 15 de la CEDH. Les juges ont remarqué également que les mesures s’adressant seulement aux individus suspectés de terrorisme non nationaux étaient discriminatoires. Cette jurisprudence a été confirmée par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt A and others v Royaume Uni de 2009. Afin de corriger la législation en cause, le Parlement britannique a voté en 2005 la loi Prevention of terrorisme Act. Par la suite, après l’attaque terroriste de 2005 perpétrée à Londres, a été promulguée en 2006 la loi Terrorism Act qui posait le nombre de jours de détention à 28. Enfin le Counter terrorism Bill adopté en 2008 est la dernière loi qui a provoqué un large débat à cause de l’augmentation des jours de détention à 42. Sur ce point, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a remarqué une incompatibilité avec l’article 5 de la CEDH et elle a recommandé de consulter l’étude comparative large de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur la législation antiterroriste dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. Apres sa promulgation ont été adoptés trois autres actes contre le terrorisme qui continuent de nuire aux droits individuels : le Coroners and Justice Act de 2009, le Terrorism (United Nations Measures) Order de 2009 et le Terrorist Asset-Freezing (Temporary Provisions) Act de 2010.
Le caractère exceptionnel de la législation anti-terroriste anglaise met aussi en évidence les particularités du système constitutionnel anglais en ce qui concerne la protection des droits fondamentaux et pose la question de son efficacité. La Grande Bretagne est un pays de common law qui ne dispose pas de Constitution écrite. Le gouvernement travailliste de Tony Blair a promulgué le Human Rights Act 1998 qui a incorporé dans le droit national les principes de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protègent les libertés fondamentales, mais en leur donnant une valeur constitutionnelle. En cas d’incompatibilité des dispositions d’une loi nationale avec la CEDH, le Human Rights Act de 1998 prévoit une procédure spéciale selon laquelle les juridictions nationales qui font une interprétation de la loi par rapport aux principes de la CEDH renvoient cette loi au Parlement pour que celui-ci la corrige par la promulgation d’une autre loi. Il s’agit donc d’une succession de lois qui garantit la protection des droits de façon indirecte. En outre, les particularités du Human Rights Act concernent sa nature : c’est une loi qui protège les droits fondamentaux mais qui peut être modifiée par une autre loi et ne dispose pas de la valeur supra législative des Constitutions des autres Etats. De plus, les lois anti terroristes ont fait apparaitre une répartition des rôles et des compétences qui remet en cause la séparation des pouvoirs. Plus précisément, l’Anti-terroriste Act de 2001 donne compétence au pouvoir exécutif pour décider la détention d’un individu et non pas au juge au terme d’un procès. Parallèlement, selon le Counter-Terrorism Bill de 2008, c’est la loi qui impose l’augmentation des jours de détention et non le juge.
En faisant un bilan de la législation anti-terroriste en Grande Bretagne, il est évident qu’il s’agit d’un exceptionnalisme négatif et que ces mesures n’ont pas protégé de façon effective les droits fondamentaux comme la sécurité nationale. Les attaques terroristes ont continué jusqu’à très récemment (août 2011) et les droits fondamentaux ont été restreints de façon disproportionnée par rapport aux objectifs des législations. Le vif débat qui s’est déroulé autour de la doctrine, des juridictions nationales et européennes, des institutions européennes, du gouvernement et de la presse, qui constitue un prolongement de l’opinion publique, témoigne du caractère conflictuel et exceptionnel de ces mesures. Mais le pouvoir judiciaire reste encore le garant et le protecteur des droits fondamentaux contre le pouvoir exécutif qui leur a porté atteinte sous le prétexte de la protection nationale.